Joris Hoefnagel and The Four Elements

Joris Hoefnagel et les quatre éléments

Joris Hoefnagel, artiste néerlandais autodidacte actif à la fin du XVIe siècle, fut une figure charnière entre deux époques de l’art flamand. En tant que l’un des derniers enlumineurs à œuvrer dans le style flamand perfectionné par les frères van Eyck et leurs successeurs, Hoefnagel prolongea cet art médiéval minutieux bien au-delà de la Renaissance. Mais il fut aussi tourné vers l’avenir, en pionnier d’un nouveau genre : la nature morte, qui allait devenir l’un des fleurons de l’Âge d’or hollandais.

Outre ses dessins et enluminures renommés, Hoefnagel s’illustra dans de nombreux domaines, incarnant l’idéal de l’« homme de la Renaissance ». Il écrivait de la poésie latine, maîtrisait plusieurs langues, jouait de divers instruments de musique, et produisit cartes et dessins topographiques.



The Four Elements est l’un des principaux manuscrits de Joris Hoefnagel (1542–1600). Il se compose de quatre volumes, chacun représentant des créatures associées à l’un des quatre éléments :

  • Animalia Rationalia et Insecta : IGNIS (Merveilles humaines et insectes – Feu)

  • Animalia Quadrupedia et Reptilia : TERRA (Quadrupèdes et reptiles – Terre)

  • Animalia Aquatilia et Conchiliata : AQUA (Poissons et coquillages – Eau)

  • Animalia Volatilia et Amphibia : AIER (Oiseaux et amphibiens – Air)

    Comme nous le verrons, l’ordre choisi pour présenter ces règnes du vivant n’a rien d’anodin.

    Planche 25 : Papillon bleu sous les ailes et Sphinx de l'euphorbe, c. 1575/1580

    Monument clef de l’art néerlandais du XVIe siècle, The Four Elements s’inscrit à la fois comme l’héritier des traditions anciennes de peinture naturaliste flamande et comme un jalon fondateur pour les futurs genres de la peinture florale et animalière en Europe du Nord. Il s’agit aussi de l’un des tout premiers ouvrages d’entomologie moderne, et, plus largement, d’un traité unique d’histoire naturelle.

    Hoefnagel avait pour devise natura magistra — « la nature pour maîtresse ». Elle reflète son intérêt pour une représentation réaliste de la nature. Ses premières miniatures d’animaux, réalisées avant son départ d’Anvers, lui valurent d’être nommé enlumineur officiel par les ducs de Bavière à Munich. Peu à peu, ces études furent rassemblées dans un manuscrit en quatre volumes (datés de 1575 à 1582), aujourd’hui répartis entre de nombreux musées (National Gallery of Art à Washington, Kupferstichkabinett de Berlin, Louvre à Paris) et collections privées.

    Quelques planches emblématiques

    Planche 23 : Sphinx colibri, papillons et autres insectes autour d'un brin de symphorine

    Planche 28 :  Tartarine (Macaque de Barbarie ), fruits et un escargot

    Planche 1 : Animalia Aqvatilia et Cochiliata (Aqva)

    Planche 34 : Oiseau de paradis avec Mereganser et Grebe

    Questions posées par The Four Elements

    Ignis : La primauté de l'homme et des insectes dans la création

    Pourquoi Hoefnagel a-t-il choisi d’associer l’homme et les insectes dans un même volume, et de les relier à l’élément feu ?

    La théorie des quatre éléments remonte à Aristote, qui divisait l’univers en deux parties : le Cosmos parfait, fait d’éther (domaine des étoiles fixes et immuables), et le monde sublunaire, changeant et corruptible, formé d’un mélange de Feu, Air, Eau et Terre, disposés en sphères concentriques autour de la Terre.

    La gravure de Flammarion 1888


    Les animaux sont répartis selon leur milieu naturel :

    • Terre : quadrupèdes, reptiles

    • Eau : poissons, coquillages

    • Air : oiseaux, amphibiens
      Mais le feu, élément immatériel, échappe à cette logique.

    Hoefnagel fait un choix audacieux : il relie l’homme et les insectes au feu, symbole de génération, de transformation, de merveille — l’élément le plus mystérieux et instable. À l’époque, les insectes restaient mal connus. Leur métamorphose (œuf, larve, nymphe, imago) échappait encore à la compréhension scientifique. On croyait souvent à la génération spontanée.

    Avant Aldrovandi (dont la publication sur les insectes date de 1602), Hoefnagel fut l’un des premiers à percevoir le monde des insectes comme un univers digne d’étude. Les espèces minutieusement représentées dans Ignis en firent une référence pour les entomologistes durant des décennies.


     

    Joris Hoefnagel - Animalia Rationalia et Insecta (Ignis) : Planche V ColéoptèreJoris Hoefnagel - Animalia Rationalia et Insecta (Ignis) : Planche V Coléoptère

    Dialogue intérieur et louange du Créateur

    La structure des quatre volumes est similaire : chaque illustration est centrée sur une enluminure à la gouache et à l’aquarelle, encadrée de maximes ou de citations littéraires, souvent d’origine biblique, antique ou humaniste (notamment Érasme).

    Ce procédé engage le spectateur dans une double lecture : contemplation esthétique de la création et réflexion spirituelle ou morale. Chaque volume s’ouvre sur une citation tirée du Psaume 103 (104) :

    • Ignis : « Il fait de ses messagers des vents, de ses serviteurs un feu dévorant »

    • Terra : « Tu as établi la terre sur ses fondements, elle est inébranlable à jamais »

    • Aqua : « L’abîme la couvre comme un vêtement, les eaux se tiennent au-dessus des montagnes »

    • Aier : « Tu prends la nuée pour ton char, tu avances sur les ailes du vent »

    Les sources de son imagerie

    Le manuscrit apparaît comme une tentative de maîtrise mimétique totale de la nature. Cela soulève plusieurs questions :

    • Quelles sont les sources iconographiques de Hoefnagel ?

    • Quelle est la finalité de son œuvre ?

    • Pourquoi ce format si éclectique et unique ?

    Lien avec la nature morte florale et la peinture animalière

    Joris Hoefnagel, nature morte
    Nature morte avec des fleurs, un escargot et des insectes, Aquarelle, gouache,
    et coquille d'or sur vélin


    L’essor de la nature morte florale et de la peinture animalière aux Pays-Bas est souvent considéré comme un point de départ. Mais les Quatre Éléments représentent un tournant intermédiaire dans la fragmentation progressive de la vision médiévale unifiée de la nature. Hoefnagel y amorce l’individualisation des objets naturels, qui deviendront bientôt des sujets à part entière dans la peinture.


    Un génie sans héritiers : 

    Enfin, comment comprendre l’œuvre de Hoefnagel ?
    On le considère parfois comme un empiriste, un emblématiste, et un génie solitaire, sans prédécesseurs ni véritable postérité. Pourtant, compris comme une tentative d’imitation parfaite de la nature, The Four Elements apparaît comme l’œuvre pivot de sa carrière, offrant une unité à un corpus éclectique.

    Joris et Jacob Hoefnagel - Allégorie sur la vie et la mort

    Joris et Jacob Hoefnagel - Allégorie sur la vie et la mort 

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