
Petite histoire des estampes japonaises : de l'Ukiyo-e au Shin-hanga
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Les estampes japonaises racontent une histoire fascinante : un art à la fois populaire et raffiné qui voyagea de l’Édo japonais jusqu’en Europe, inspirant profondément les peintres occidentaux. Entre tradition et modernité, leur évolution reflète à la fois les échanges culturels et les goûts changeants.
Aux origines de l’estampe japonaise
L’art de la gravure sur bois, mokuhanga, arriva de Chine vers le VIIIᵉ siècle, au départ pour reproduire des sutras et des images religieuses dans les temples bouddhistes.
Au XVIIᵉ siècle, il devint un art laïque : Édo (Tokyo moderne), avec ses théâtres animés, ses quartiers de plaisir et ses marchands friands de culture visuelle, devint le berceau de l’ukiyo-e — les « images du monde flottant ».
Très tôt, les acteurs de kabuki devinrent des sujets populaires des estampes ukiyo-e, reflétant leur renommée et la fascination du public pour le théâtre.
Ichikawa Danjūrō V (l’un des acteurs kabuki les plus célèbres et populaires de tous les temps) dans la pièce populaire Shibaraku, par Utagawa Kunimasa, 1796
Point technique : Contrairement à la gravure occidentale, le mokuhanga utilise des pigments à base d’eau, permettant des couleurs vives et des dégradés subtils. Chaque estampe est le fruit d’une collaboration entre dessinateur, graveur, imprimeur et éditeur.
À l’origine, les estampes japonaises n’étaient pas destinées à être accrochées aux murs comme des tableaux. Ce sont des objets portables et abordables, à collectionner et à consulter de manière intime, souvent dans des albums (ehon). Les collectionneurs feuilletaient ces ouvrages comme des livres, appréciant la composition, les couleurs et les sujets dans un cadre privé.
Couverture et dos de deux volumes liés ensemble de la série gōkan e-hon, Nise Murasaki inaka Genji. La série a été publiée de 1829 à 1842. Auteur : Ryūtei Tanehiko, illustrateur : Utagawa Kunisada
Plus tard, certaines estampes devenant plus précieuses étaient parfois exposées dans un tokonoma, l’alcôve d’une pièce traditionnelle japonaise réservée aux œuvres d’art, calligraphies ou décorations saisonnières. Le tokonoma offrait un espace contemplatif où l’art pouvait être regardé avec respect, soulignant l’évolution du statut des estampes, de divertissement éphémère à art à collectionner.
L’âge d’or de l’ukiyo-e (XVIIIᵉ – XIXᵉ siècles)
Au XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, l’ukiyo-e atteint son apogée artistique et technique, souvent appelée « âge d’or ». Des artistes comme Katsushika Hokusai, Kitagawa Utamaro et Utagawa Hiroshige repoussent les limites de la gravure sur bois, créant des compositions sophistiquées, des lignes délicates et des palettes riches. Les estampes couvrent une large gamme de sujets : bijin-ga (femmes), acteurs (yakusha-e), paysages (fameux dans Les cinquante-trois stations du Tōkaidō d’Hiroshige) et scènes de la vie quotidienne.
Contrairement aux arts élitistes, les estampes étaient abordables et largement accessibles, surtout à Édo, Osaka et Kyoto. Cette accessibilité démocratise la consommation artistique : les habitants ordinaires peuvent posséder des œuvres reflétant la culture, les tendances et la mode contemporaines. Les estampes étaient souvent collectionnées, exposées temporairement ou utilisées comme décorations lors de festivals ou d’occasions spéciales.
La circulation des estampes crée une culture visuelle partagée, influençant la mode, le théâtre et la littérature. La gravure sur bois permet également une production en série sans sacrifier la qualité artistique, faisant de l’ukiyo-e à la fois un phénomène commercial et culturel.
En résumé, l’âge d’or de l’ukiyo-e représente une période où art, accessibilité et engagement social convergent, faisant des estampes une part essentielle de la culture visuelle et domestique japonaise
Les pionniers
- Hishikawa Moronobu (1618-1694) : considéré comme l’inventeur de l’ukiyo-e.
- Suzuki Harunobu (1725-1770) : introduit le procédé de la polychromie.
Les grands maîtres du portrait et du théâtre
- Kitagawa Utamaro (1753-1806) : maître des bijin-ga.
- Tōshūsai Sharaku (actif en 1794-1795) : portraits expressifs d’acteurs de kabuki.
Les maîtres du paysage
- Katsushika Hokusai (1760-1849) : auteur des Trente-six vues du mont Fuji.
- Utagawa Hiroshige (1797-1858) : paysages poétiques, influençant les impressionnistes.
La redécouverte de l’ukiyo-e en Occident
Au milieu du XIXᵉ siècle, l’ouverture du Japon entraîne une invasion d’estampes en Europe, parfois utilisées comme papier d’emballage. Des artistes occidentaux tels que Monet, Van Gogh et Toulouse-Lautrec admirent leur composition et leurs couleurs, donnant naissance au Japonisme, mouvement qui influence profondément l’art moderne.
Amandier en fleurs, Vincent van Gogh, 1890
Le renouveau du XXᵉ siècle : le shin-hanga
Au début du XXᵉ siècle, l’éditeur Watanabe Shōzaburō initie le mouvement du shin-hanga...
Les grands artistes du shin-hanga
- Kawase Hasui (1883-1957) : maître du paysage.
- Itō Shinsui (1898-1972) : portraits féminins modernes.
- Hashiguchi Goyō (1880-1921) : élégance raffinée.
Pluie à Yabakei par Hashiguchi Goyō, 1918, estampe sur bois, Dayton Art Institute
Conclusion
L’histoire des estampes japonaises montre l’évolution des images éphémères et populaires (ukiyo-e) vers un art à collectionner (shin-hanga). Des beautés d’Utamaro aux vagues de Hokusai, des paysages d’Hiroshige aux visions poétiques de Hasui, chaque époque produit des chefs-d’œuvre qui continuent d’inspirer le monde entier.
Terme |
Français |
Mokuhanga (木版画) |
Gravure sur bois japonaise |
Tokonoma (床の間) |
Alcôve d’une pièce traditionnelle pour exposer des œuvres d’art |
Ehon (絵本) |
Albums ou livres illustrés, utilisés pour consulter les estampes |
Bijin-ga (美人画) |
Portraits de femmes ou images de beautés |
Yakusha-e (役者絵) |
Portraits d’acteurs de kabuki |
Nishiki-e (錦絵) |
Estampes en couleurs multiples |
Ukiyo-e (浮世絵) |
“Images du monde flottant”, estampes populaires japonaises |
Shin-hanga (新版画) |
“Nouvelles estampes”, renouveau du mokuhanga au XXᵉ siècle |